Sylvie Granger

Maî­tresse de confé­rences en His­toire Moderne à l’Université du Maine (Le Mans),

Centre de Recherches His­to­riques de l’Ouest (CERHIO) UMR 6258

Sylvie Granger

Rien n’est hasard dans nos choix de sujets de recherche comme d’enseignement.
-> En tant qu’enseignante à l’Université du Maine, j’ai la grande chance, depuis plu­sieurs années, de pou­voir par­ta­ger avec les étu­diants des champs de tra­vail qui cor­res­pondent à dif­fé­rentes facettes de mes centres d’intérêts per­son­nels : une ini­tia­tion à la recherche en archives, une ana­lyse des conquêtes de l’imprimé de Guten­berg à la Révo­lu­tion, un cours/atelier sur Danse(s) et Société(s) du XVIe au XIXe siècle. En effet, les archives sont à mes yeux la base irrem­pla­çable et tou­jours nour­ris­sante du métier d’historien ; la cir­cu­la­tion des cultures durant la période moderne me pas­sionne et peut éclai­rer cer­tains des cli­vages cultu­rels d’aujourd’hui ; enfin, je suis aussi dan­seuse (ama­teure) et convain­cue que les danses anciennes apportent des réponses pré­cieuses pour notre époque qui réclame « moins de biens, plus de liens » [Edgar Morin].
-> En tant que cher­cheuse, mon ques­tion­ne­ment de départ était d’ailleurs orienté sur la danse et sur les méca­nismes de sa trans­mis­sion des milieux sociaux supé­rieurs vers les milieux popu­laires, de Paris vers les pro­vinces… puis j’ai élargi ma curio­sité à l’ensemble des acti­vi­tés musi­cales et à toutes les caté­go­ries des métiers de la musique. De ce fait, ma thèse s’intitule « Les métiers de la musique en pays man­ceau et flé­chois, 1661–1850 » (1997). La pers­pec­tive n’était pas « gender-history », mais j’y bros­sais déjà quelques por­traits de musi­ciennes (Char­lotte Salade-Lavigne, 1737–1770, orga­niste à La Flèche ; Anne-Flore Mal­let et Adé­laïde Veim­rin­ger, orga­nistes au Mans au moment de la Révo­lu­tion…), et je m’étais pro­mis d’y reve­nir plus tard.
Dans les années sui­vantes, j’ai étendu mon enquête aux autres villes de la région centre/ouest et publié « Musi­ciens dans la Ville, 1600–1850 » chez Belin (2002) où je rele­vais que sur un cor­pus de 1003 indi­vi­dus iden­ti­fiés, 31 seule­ment étaient des femmes : « La musique, dans son exer­cice public, est alors pro­priété pri­vée des hommes — elle le res­tera long­temps » [1].
Quoique ralenti alors par sept ans de man­dat muni­ci­pal (consa­cré à la lec­ture et au patri­moine), mon tra­vail de recherche a conti­nué à scru­ter la vie cultu­relle des milieux urbains pro­vin­ciaux au XVIIIe siècle : appro­fon­dis­se­ment de la connais­sance du groupe pro­fes­sion­nel spé­ci­fique des musicien.ne.s ; obser­va­tion des cir­cu­la­tions et trans­mis­sions des pra­tiques cultu­relles et des réper­toires d’un milieu social à l’autre, d’une région à l’autre, d’un genre à l’autre…
-> C’est mon immer­sion dans la grande enquête pro­so­po­gra­phique sur les musi­ciens de 1790 qui m’a donné l’occasion de renouer avec les femmes orga­nistes [2]. À l’heure où l’enquête approche de sa fin, elle a d’ores et déjà révélé un tissu actif de musi­ciennes pro­fes­sion­nelles exer­çant en 1790 dans les églises et les cou­vents sur l’ensemble du ter­ri­toire fran­çais, en plus forte den­sité dans la moi­tié nord. En mul­ti­pliant les infor­ma­tions dis­po­nibles, cette enquête per­met de diver­si­fier les angles de vue, et notam­ment d’établir des com­pa­rai­sons solides entre car­rières mas­cu­lines et car­rières fémi­nines, rému­né­ra­tions, types de poste etc… Elle donne nais­sance à une base de don­nées pro­so­po­gra­phiques actuel­le­ment en cours de consti­tu­tion (Philidor-Muséfrem), qui sera à terme dis­po­nible pour toute la com­mu­nauté scien­ti­fique. Ma base de don­nées per­son­nelle com­porte aujourd’hui 3 600 indi­vi­dus ayant exercé un métier musi­cal entre 1600 et 1850 dans une vaste zone « Ouest-Centre-Ouest ». Parmi eux : 270 femmes. Les effec­tifs res­tent modestes, mais la plu­part de ces femmes (de l’ordre de 90 % au moins) étaient tota­le­ment incon­nues jusqu’alors des chercheurs.
En concen­trant mes recherches sur les milieux pro­vin­ciaux d’une part (loin de l’axe Versailles/Paris, loin de la Cour et de l’Opéra…) et sur les femmes d’autre part, je prends le risque d’une double mar­gi­na­lité, d’une invisibilité-puissance plus ! Je sais que je ne débus­que­rai ni grands noms, ni par­ti­tions cachées et que je n’intéresserai donc ni les musi­ciens en quête de réper­toire, ni le grand public curieux des vedettes, ni les médias friands de scoops. Pour­tant, ces femmes obs­cures sont fas­ci­nantes, par les mys­tères qui entourent leurs iti­né­raires (notam­ment leur accès à la for­ma­tion) et par leur obs­ti­na­tion à vivre de la musique. Elle furent de celles qui enta­mèrent la marche déter­mi­née à la pro­fes­sion­na­li­sa­tion et à l’autonomie éco­no­mique dont nous appré­cions les fruits aujourd’hui.
C’est devenu pour moi un devoir que de par­ler d’elles, de recons­ti­tuer leurs par­cours bio­gra­phiques et de les faire sor­tir de l’ombre. À défaut de les faire sor­tir du silence
J’attends du CReIM qu’il soit un lieu de par­tage et d’émulation intel­lec­tuelle, un enri­chis­se­ment métho­do­lo­gique par le croi­se­ment de nos diverses spé­cia­li­tés et aussi un outil de visi­bi­lité pour nos recherches autour des musi­ciennes d’autrefois et d’aujourd’hui.
Syl­vie GRANGER,  Le Mans, 24 mai 2011

[1] Musi­ciens dans la Ville, p. 273. C’est une cita­tion indi­recte de l’écrivain cari­béen Daniel Maxi­min (L’Isolé Soleil, Seuil, 1981) : « Mal­hia, tu m’avais dit un soir que s’ils avaient pu imi­ter notre voix, les musi­ciens se seraient pas­sés de nous. La musique est une pro­priété pri­vée des hommes. Tu avais ajouté : “Tam­bien la poe­sia !”. La poé­sie aussi. » (page 136, édi­tion points-poche).
[2] Enquête MUsiques d’Église en FRance à l’Époque Moderne (Musé­frem), sous la direc­tion de Ber­nard Domp­nier (Uni­ver­sité Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand), sou­tenu par l’ANR sur 2009–2012.

Publi­ca­tions sur les musi­ciennes :

Gran­ger Syl­vie, 2008, « Les musi­ciennes de 1790, aper­çus sur l’invisibilité », Revue de musi­co­lo­gie, n°94/2, décembre 2008, pages 289 à 308.
Gran­ger Syl­vie, 2009 — avec Isa­belle Lan­glois, « Une orga­niste chez les béné­dic­tines de Cus­set : Jeanne Foulhouze-Dupont (1733–1813) », Bour­bon­nais baroque ? Aspects du baroque et du clas­si­cisme aux XVIIe et XVIIIe siècles dans l’Allier, Annie Regond et Henri Delorme (dir.), Sou­vi­gny, 2009, p.121–122.
Gran­ger Syl­vie, 2011 — « Deux Orga­nistes aux des­tins voi­sins : Marie-Claude Renault-Bainville (1724–1803) & Jeanne-Marie Bertrand-Jannot (1738–1804) », Annales His­to­riques de la Révo­lu­tion fran­çaise, 2011, n° 4, pages 3 à 27.
Gran­ger Syl­vie, 2012 - avec Fran­çois Caillou et Chris­tophe Maillard, « Deux Géné­ra­tions de musi­ciens au XVIIIe siècle : la famille Dobet de Chartres à Châ­teau­dun, 1713–1839 », Revue His­to­rique, n° 662, avril 2012, pages 391 à 419 [4 musi­ciens de la même famille, dont une femme]
Gran­ger Syl­vie, 2012 - avec Serge Ber­tin, Femmes en Sarthe, Actrices de leur temps, Libra-Diffusio, 2012, 272 pages. [120 por­traits de femmes… dont plu­sieurs musi­ciennes, d’hier et d’aujourd’hui]
Gran­ger Syl­vie, 2012 - avec Ber­nard Domp­nier et Isa­belle Lan­glois, « Deux mille musi­ciens et musi­ciennes d’Église en 1790 », His­toires indi­vi­duelles, his­toires col­lec­tives, Sources et approches nou­velles, sous la dir. de Chris­tiane Demeulenaere-Douyère et Armelle Le Goff, Édi­tions du Comité des Tra­vaux his­to­riques et scien­ti­fiques, 2012, pages 221 à 235.
Gran­ger Syl­vie, 2013 — «  Nor­man­die, Une terre de musi­ciennes », Orgues Nou­velles, n° spé­cial « Nor­man­die du XIIe au XXIe siècle », n°21, été 2013, p. 16–17.
Gran­ger Syl­vie, 2013 — « Femmes orga­nistes en Sarthe au temps de la Révo­lu­tion », La Vie Man­celle et Sar­thoise, n°431, octobre 2013, p. 16 à 20.

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